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Un conte sans joie

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Message  Capitaine Cham Mer 17 Juin 2015 - 13:53

L'arbre et le vieil homme.
A Morgan Priest


Le jour du huitième anniversaire d'un enfant comme les autres, peut-être un peu plus simple, son père, paysan, l'emmena à l'orée d'une mousseuse clairière, sans doute belle, même selon les goûts autochtones de ces hommes du terroir. Là, sur la parcelle familiale que leur avait accordé le comté, comme à chaque famille du pays, le père faisait son bois: il entaillait et tronçonnait les jeunes plants vigoureux de cinq ou six ans; la famille était opulente, et la parcelle, vaste.
Il y avait là suffisamment d'espace pour que la population des arbres se renouvelle constamment sans que la quantité de bûches ne vienne jamais à baisser, automne comme printemps, été comme hiver.
Seul UN arbre était mis de coté. Déjà, c'était une variété de bois mauvaise pour tout: brûlant mal, inapte à la charpente et encore moins à la sculpture, il coulait dans l'eau, on ne pouvait même pas en faire du charbon. Il ne valait rien ce bois, pourquoi s'acharner à faire des bûches qui ne prendront pas, ne sècheront pas et pourriront? Pensait le paysan. Et puis, c'était aussi un bel animal, cette arbre: il était tout tordu, tout biscornu, tout noué; son tronc, couvert de mousse, ses racines, saillantes au-dessus d'un amas de pierres bleues. Ses feuilles, elles étaient plus rouges que vertes, sans doute toxique; et il répandait d'ailleurs comme une odeur, un parfum...
Le vieux aimait cet arbre. Il avait compris très vite, pour la légende, mais il l'aimait quand même.
Car il y avait une tradition chez certaines familles de ces terres-là. Les paysans emmenaient leur fils respectifs auprès d'un arbre, et leur comptait une légende qui prétendait que les beaux arbres, les vieux arbres peuvent parler.
<<-Tu ne l'entendras pas tout de suite, dit-il donc à son fils. Moi-même, j'ai mis des années avant de pouvoir converser avec lui. Il met du temps à répondre. Mais je l'ai entendu, oui. Je l'ai entendu. On parle souvent, tous les deux, maintenant..
-Vous vous racontez quoi? demanda l'enfant, avec de la lumière dans les yeux.
-Oh, des trucs de vieux. je lui parle des misères à la ferme, de ta mère, des récoltes... Je lui dis mes secrets. Et lui me parle du ciel, du vent, de l'eau dans ses racines et dans l'air. Et des autres arbres, ceux qui parlent, et ceux qui ne parlent pas.
-Et c'est comment la voix d'un arbre?
-ça, il ne m'est pas permis de te le dire. Tu dois le découvrir par toi-même, c'est un secret que l'arbre partagera avec toi un jour.>>
Plus tard, alors que le ciel s'assombrissait, tous deux s'en revinrent à la ferme.
Le lendemain, l'enfant, en jouant, tomba dans le puis familial. Il mourut sur le coup, sans même prendre conscience de sa chute.
On l'enterra le lendemain. Une croyance locale dit que celui qui meurt sans avoir le temps de s'en rendre compte devient un fantôme et qu'il est condamné à errer dans le froid de la non-vie pour les siècles des siècles. Aussi, on ne lui donna pas de sépulture chrétienne, on ne convoqua point d'émissaire de Dieu. Il n'y eut pas la moindre messe, et, une fois son seul fils mis dans un bout de la terre la plus stérile dont il disposait, le père retourna au travail.
Le lendemain encore, comme il ne l'avait pas fait depuis ses lointains onze ans, il alla parler à son bel arbre soit disant bon à rien..
-Alors c'est vrai, tu parles? C'est vrai, ça, que, tu parles?
Il cracha par terre.
-Non, redoubla-t-il de rage, un arbre ça ne parle pas, ça n'existe pas les arbres qui parle, tu MENS tu n'es qu'un menteur! Un menteur! Un MENTEUR!
Se saisissant d'une baramine non loin il commença à faire saigner l'écorce de l'arbre. Qui frémit à peine.
-Tu ne parles pas parce que tu n'as pas d'âme! Tu ne sais pas ce que c'est que l'amour! Et la haine!
Ce coup, plus violent, fit, sauter un tesson d'écorce.
-La haine!
Autre coup
-La HAINE, bon Dieu!
Autre coup.
-La haine!
Dernier coup:.
-La haine, nom d'un CHIEN!
Et il s'en retira déchiré, anéanti, pleurant de toute son âme de père.
Et l'arbre pensa:
<Qu'ont-ils donc tous voulu me dire, ces enfants? C'est quoi, parler?
C'est quoi haine?
Haine, c'est parler?..
Je vais essayer parler. Je vais essayer haine.>>
Deux feuilles rouges comme une veine de poignet ouverte tombèrent du haut de l'arbre. Tandis que le vent se levait, un faible, presque inaudible hululement se fit entendre. et à mesure que l'arbre prononçait, psalmodiait, puis carrément hurlait le seul mot qu'il avait appris, "haine", retentissaient de doux, de splendides, de magiques hululements flûtés, un chant comme celui des petites grenouilles de Saumur.
Et l'arbre pensa: dommage, je sais parler, je sais haine. Haine! Haine! Viens, enfant! Venez, enfants! Haine! Haine!
-HAINE, HAINE, HAINE, n'avait-il de cesse de s'époumoner, désespérant de voir à nouveau des humains, chose si rare dans les forêts si sombres..
Il s'essouffla tant et tant de ce mot magique qu'en quelque jours, il perdit toutes ses feuilles l'une après l'autre. Son chant féerique, d'un douceur inédite, fit fuir tous les animaux, tous les oiseaux, tous les insectes sur mille pas à la ronde. Je sais: c'était prévisible.
Dans le silence sépulcral de cette forêt, l'arbre rendit finalement son âme d'arbre.
Et, plus jamais, dans cette forêt, oncques ne vit enfant parler à un arbre...
Capitaine Cham
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