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3 ans de réclusion douce

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3 ans de réclusion douce Empty 3 ans de réclusion douce

Message  Capitaine Cham Mer 3 Juin 2015 - 1:42

Si vous voulez me blesser, c'est assez simple: demandez moi si j'ai pris mon traitement et invitez moi à gober les petites pilules roses (ou bleues pour les garçons).

C'est une forme d'intolérance et de vulgarité comme une autre, pour les imbéciles bien portants, que de rabaisser les schizos. Une insulte ad hominem, au même titre que de traiter Sarkozy (et plus récemment Hollande) de nain. Il est vrai que trois centimètres d'écart distinguent leurs mandats respectifs.

On m'a dit un jour que la schizophrénie affectait plus souvent les gens intelligents que les autres. Je vous rassure tout de suite, c'est faux. Par contre, converser avec un schizophrène est beaucoup plus intéressant qu'avec les bien portants, car la pensée d'un schizophrène est... Exotique, dirons-nous. Converser avec un schizo est aussi délassant que de regarder un film ou de lire un roman; et il s'agit dans tous les cas de plonger dans une pure fiction. Et le schizo est rarement enclin au mépris. Ne dit-on pas: la tendresse des fous?


Avez-vous déjà tâté de la psychiatrie? Pour ma part, j'ai été enfermé à une bonne vingtaine de reprise, pour des séjours allant de trois semaines à quatre mois. Sur ces 20? 25? internements, je pense -maintenant que, lucide et débarrassé de mes délires, je peux juger concrètement ma maladie- que ce n'était justifié qu'à trois ou quatre reprise, lorsque j'étais tellement flippé que le monde extérieur me mettait sérieusement en danger.

Mes parents avaient pris le pli de m'emmener direct à l'HP dès qu'ils sentaient ma révolte d'ado attardé se teinter d'agressivité. Et je n'ai jamais été violent; seulement plongé dans ma fiction mystique. Ils pouvaient très bien me laisser délirer en paix, ou m'emmener chez un psychologue; mais la solution de l'internement leur était apparemment plus sympathique. Ils ont définitivement perdu mon amour. Je ne les déteste pas non, mais ils pourraient mourir demain que ça me laisserait froid comme l'hiver.

Ces trois ans d'internement majoritairement injustifiés légitiment plus qu'assez cette pension d'invalidité que je perçois, alors que je suis tout à fait apte au travail. La société m'a baisé, maintenant c'est moi qui la baise.

Attendez, je ne vais pas cracher dans la soupe. Il y a un siècle, Freud et Jung en étaient à poser les premières pierre de la psychanalyse institutionnelle, qui a elle-même précédé la psychiatrie; et on enchaînait les malades dans des cages sans autres formes de procès. Vous pouvez voir une illustration de ce traitement dans le film "Amadeus". Et jusque dans les années 70 on pratiquait les électrochocs, particulièrement douloureux, comme thérapie antipsychotique. Il s'est révélé que les électrochocs sont non seulement inhumains, mais sans effet sur la maladie. Pour ceux qui l'aiment bien, sachez que Lou Reed a été victime d'électrochocs (weta).

Un certain progrès a été fait et le niveau de la psychiatrie dans les années 80 était... Meilleur que maintenant en fait. Bien sûr, on n'arrête pas le progrès et les neuroleptiques sont d'année en année plus efficaces et plus onéreux, mais j'ai appris par des infirmiers, alors que j'étais au Mas Carreyron, un hôpital perdu dans la garrigue d'Uzès, qu'il y a trente ans de ça, jusqu'au premier mandat de Chirac les malades pouvaient travailler dans les champs et les bergeries, cultivaient leur propre becquetance et pouvaient même servir à la cuisine. Ils étaient maigrement rémunérés mais quand même, c'est toujours mieux que de se cogner le front sur un mur capitonné ou regarder la télé en bavant.

Et c'était monnaie courante dans la plupart des hôpitaux d'occuper les "prisonniers" (honnêtement oui, l'HP n'est rien d'autre qu'une prison soft) à un travail agricole ou artisanal. J'ignore pourquoi on a mis fin à cette pratique que je trouve plus saine qu'autre chose; sans doute quelque con a décrété que le travail des malades était de l'esclavage parce qu'insuffisamment rémunéré; je ne me l'explique pas et je trouve ça lamentable, révélateur de notre époque ou la surprotection social et socialisante, et l'infantilisation généralisée, baignées de politiquement correct, pourrissent tout.

Je n'ai pas fait de prison -pas encore et je touche du bois- et la prison, c'est pire que l'HP. C'est certain, d'après le peu que j'ai pu entendre sur le milieu carcéral. Mais quand même. D'une part, certains hôpitaux -un peu moins de la moitié- sont, j'en suis presque sûr, conçu de manière volontairement déprimante. Je me souviens en particulier de l'HP d'Armentières -en tout point semblable à l'hôpital où Cole est enfermé dans l'armée des douze singes- dans lequel régnait une forte odeur chimique de merde, du caca synthétique, odeur que j'ai retrouvé dans presque tous les hôpitaux que j'ai fait. L'odeur: c'est la première chose qui vous frappe quand vous arrivez à l'asile.

Il y a aussi le décor: pour exemple, l'hôpital psy de Saumur: il y a deux étages, le premier pour les HDT (hospitalisation à la demande d'un tiers, quand un bien portant décide que vous seriez mieux entre quatre murs; n'importe qui peut envoyer n'importe qui à l'asile) et les HO (hospitalisation d'office, à la demande du préfet), et le deuxième étage pour les HL (hospitalisation libre, "volontaires" -tu parles Charles). Le premier étage est moins lumineux, et les couleurs (rose foncé et brun facho) sont plus moches; au second c'est blanc et jaune, et bizarrement, il n'y a pas cette puanteur chimique que je vous disais.

Bon. Premier point, déjà: l'hôpital a été conçu déprimant de façon volontaire. Je vais aborder le second point.


Jamais, aucun psychiatre et j'en ai vu la ramasse, des gentils et des méchants (à égales proportions), n'a pris la peine de s'intéresser à mon délire. Quelques questions, juste pour constater que, oui, je suis bien dingo, mais pas assez pour me comprendre. Ils s'en foutent royalement. Ils éprouvent la plupart du temps du mépris. Le même mépris que la pute pour son client. En plus, vu que je suis un intello, si j'avais pu expliquer toute ma folie et discuter du bien fondé de celle-ci, et qu'un psy en lequel j'eusse quelque confiance me dît: "monsieur Lannes, vous nagez en plein délire, et votre psychose est un ramassis de conneries mégalomanes" j'aurais guéri plus vite. Un seul psy s'est permis de me dire franchement que j'avais tort dans ma croyance délirante, et ça m'a fait pas mal avancer.

Bien sûr, si vous voulez causer, vous pouvez toujours consulter le psychologue, mais ce dernier n'a pas d'autre rôle thérapeutique que de vous écouter. ça peut faire du bien à certains, moi j'ai toujours trouvé que c'était de la masturbation intellectuelle. Et ça ne sert à rien, puisque le psychologue n'a pas le droit de parler de votre psychose avec son collègue iatre et il est toujours trop gentil pour vous contrarier et vous remettre direct les idées en place.

C'est ce qu'il fallait faire, avec moi. M'écouter, me laisser vider mon abcès, pour soigner avec l'antiseptique de la raison cette plaie de l'âme. Les psychologues sont de mauvais médecins et les psychiatre de mauvais psychologues.

Troisième point: la camisole chimique. Aujourd'hui on m'a enfin trouvé un traitement sans trop d'effet secondaires (j'ai quand même un déficit sérieux en sérotonine et un net affaiblissement de l'intellect, la mémoire en particulier), Clopixol 200 mg en injection toutes les quatre semaines. Mais avant d'en arriver là, j'ai pris des tas de neuroleptiques certains anodins mais la plupart désastreux sur le plan psychique. Une pure neurasthénie, qui générait un complexe d'infériorité que je devais compenser par ce qu'ils appellent "décompensation" et "bouffées déélirantes", de telle sorte que je me réfugiais encore plus dans ma maladie à cause du mal-être, de la dépression qu'induisait les petites pilules vertes fiel. C'est marrant d'ailleurs: le médicament que je prends date des années 50 et ne me fait pas trop de mal, alors que le Risperdal qu'on m'a forcé à prendre m'a conduit à plusieurs TS.


Bon, il se fait tard pour moi et c'es déjà un gros pâtée que je vous ai pondu, donc je ne vais pas vous relater l'objet de ma psychose (derrière moi maintenant; je ne suis pas la réincarnation du Christ et d'ailleurs je n'ai plus les cheveux longs) ni sa progression, simplement je vais vous dire ceci: le malade aime sa maladie comme il s'aime lui-même.

Mon avant-dernier psy m'a presque guéri le jour où elle m'a dit ça.

La psychose, la schizophrénie est souvent le dernier rempart de l'ego contre la dépression et le dégoût de soi. C'était particulièrement vrai dans la seconde phase de ma maladie: lorsque la paranoïa est sorti du champs de ma psychose. Ne restaient que des croyances mégalomanes rassurantes.

Mais la première phase de ma maladie (qui a été provoqué par l’absorption d'extasy comme antidépresseurs et non en cadre festif) a été purment infernal, et non jouissive comme elle le fut par la suite. J'ai vécu la désespérance: j'étais que l'Enfer m'attendait de façon imminente; que j'étais entourés d'anges et de démons qui statuait de mon sort, de telle sorte que je cherchais toujours des sou-entendus dans les paroles des autres et que je les épiais en permanence. La paranoïa.

Vous ne savez pas ce que c'est que la peur de l'Enfer hein? C'est quelque chose d'atroce. Pour vous donner une idée, j'ai essayé de m'arrachr les veines du poignet avec les dents pour me suicider plutôt que d'être précipité dans le brasier de la géhenne.... J'ai toujours une grosse ccicatrice au poignet.




Bon. On arrive à la fin les enfants.

Arrivé au terme de ma schizophrénie, et objectivement, guéri, même si je dois toujours prendre un traitement (comme un séropo sous trithérapie), j'ai perdu environ 20 points de QI en 15 ans, suis passé de l'athéisme à la foi chrétienne, et bénéficie d'allocations diverses que, franchment, je ne mérite pas, parce que je suis parfaitement capable de travailler.


Ouais, je pourrais travailler. Le problème, c'est que le seul boulot que j'ai envie d'exercer, c'est...



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Message  Durga Mer 3 Juin 2015 - 6:56

Bonjour Damien,

Merci pour ce long témoignage (douloureux en tous cas pour plusieurs d'entre nous, si évocateur ! ) que tu nous donnes.
Effectivement, plusieurs ont ici dénoncé ce qu'est devenue la psychiatrie hospitalière ces vingt, trente dernières années. Quand on pense ce qu'était "''anti-psychiatrie" dans les années 60-70. Franco Basaglia est bien mort. Et enterré ! Aujourd'hui, la psychiatrie est à l'image de ce qu'est la société : froide, intolérante et incapable d'envisager l'homme que sous son aspect d'outil fonctionnel ou d'agent économique.
La plupart des psychiatres français sont devenus soviétiques.
Je te souhaite bon courage Damien...
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Message  Anaïs Jeu 4 Juin 2015 - 8:58

Témoignage émouvant ! 3 ans de réclusion douce 3444612782
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Message  neo-codion Dim 7 Juin 2015 - 10:02


« Sans la reconnaissance de la valeur humaine de la folie, c’est l’homme même qui disparaît… »
François Tosquelles



Bonjour Capitaine Cham,

Connais tu le travail du collectif des 39 qui lutte pour une approche plus humaine de la psychiatrie envers les malades ?

http://www.collectifpsychiatrie.fr/
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Message  mimi pinçon Lun 4 Jan 2016 - 23:37

Capitaine Cham a écrit:

On m'a dit un jour que la schizophrénie affectait plus souvent les gens intelligents que les autres.


C'est courant de faire croire ça aux schizophrènes pour qu'ils nous foutent la paix...
mimi pinçon
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