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Littérature décadente

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Littérature décadente  Empty Littérature décadente

Message  hippium Dim 17 Mai 2015 - 8:21

René Dalize (1879-1917)

La Ballade du pauvre macchabé mal enterré



Je suis le pauvre macchabé mal enterré,

Mon crâne lézardé s'effrite en pourriture,

Mon corps éparpillé divague à l'aventure

Et mon pied nu se dresse vers l' azur éthéré.



       Plaignez mon triste sort.

Nul ne dira sur moi: « Paix à ses cendres! »

       Je suis mort

Dans l'oubli désolé d'un combat de décembre.



   J'ai passé un hiver au chaud,

   Malgré les frimas et la neige:

Un brancardier m'avait peint à la chaux.

Il n'est point d'édredon qui mieux protège.



Un gai matin d'avril. Monsieur Jean-Louis Forain.

Escorté d'un cubiste, m'a camouflé en vert.

       Le vert a tourné à l'airain

       Puis au gris et, dessert,

J'ai moi-même tourné comme une crème à la pistache.

Où donc es-tu, grand Caran d' Ache ?



       Depuis, je gis à l'abandon.

       Le régiment de la relève

M'a ceint de fils de fer, créneaux et bastidons.

Un majestueux rempart autour de moi s'élève.



       En dépit du brûlant tropique,

       Mon été fut philosophique.

       Le nez perdu dans l'agrégat

       Emmi le crapaud et le rat,

On s'habitue à tout loin des désirs charnels.

Autour de moi rêvassent de vieux cadavres confraternels.



L'autre semaine, hélas, un gros minnenwerfer

       Sans crier gare a chu

Et m'a brisé les reins d'un grand coup de massue.

En vain ai~je imploré Wotan et Lucifer.

Brutalement jeté de mon aimable trou,

Six fois en tourbillons je mesurai [espace,

Puis retombai, épars, colloïdal et mou,

Parmi la criquembouille et la mélasse.



   Depuis ce temps, le crâne retourné,

De mon œil, mon pauvre œil, mon œil unique,

   - L'autre, un rat me l'a mangé, -

Je subis à nouveau la Tonde mécanique.



       Entre les branches demi~mortes

       D'un grand saule dépareillé,

       J'aperçois la sainte cohorte

       Des astres de la nuit d'été.



Hermann, Dorothée, ô Minna, ô Werther,

       Que maudit le minnenwerfer!

       Peu me chaut manquer d'une fesse.

       J'ai du coup perdu la sagesse...

Voici bien le grand œil lumineux étoilé,

Et mon œil rebelle va du mauvais côté.

Je me souviens, ah oui! je me souviens.

Elle était, ma fiancée, des bords du Rhin...



       - Mon bel et pur amour,

Le grand cygne de neige aux ailes éployées

   Nous emportera quelque jour

Au destin fabuleux que nous avons rêvé.



- C'est la bataille, Fritz, et, puisqu'il faut partir,

Vois la mignonne étoile près la fière Altaïr.

   Promets~moi, chaque soir, pieusement,

De répéter sous son regard fidèle notre serment.



- Cet infiniment petit corpuscule,

Tu me l'avais donné, ô ma tendre Gudule,

       Tu me l'avais donné...

Je sens le vent du sud, ce soir, au creux du nez ;



   Le vent du sud est plein de pestilences

   Idoines à flatter ma carcasse un peu rance.

   Entre les fils de fer, j'ai plus d'un camarade.


   L'odeur des champs fleuris est par trop fade !



Mais le zéphyr, ce soir, perce mes oripeaux,

Court en frissons subtils sous ma défunte peau,

Eveille en mon cœur mon oubliée luxure,

Et rompt les harmonies de ma feue chevelure.



       Il n'est point si gai d'être mort.

       Tout cela manque de confort.

       Si j'avais un bout de ficelle,

       Je sonnerais la sentinelle.



       Et puis voici que joue au vent

       Le ruban bleu taché de sang

       D'une fille que j'ai violée

A Malines, un soir pareil de l'autre été...

       Ne te révolte, mon doux cœur !

On n'est pas très poli quand le temps presse.

Tes bras frais alanguis plutôt à mon ivresse

Et cambre tes seins durs au désir du vainqueur.

           Elle était blonde,

Elle avait de grands yeux qui suppliaient le monde

               Loin de moi!

   Aujourd'hui, vieux macchabé vertueux,

Je ne veux plus aimer de mes fiancées aucune

       Que celles à l'œil vitreux

       Et au sein flou couleur de lune.



Satané vent ! Le coriza m'a pris.

Mes pieds humides vers l'azur éthéré

       Se dressent incompris.

Je suis le pauvre Macchabé mal enterré.

hippium

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Message  rainbowgeek Dim 17 Mai 2015 - 11:47

Texte typique de ceux qui assimilent le corps physique (certains diraient l'enveloppe charnelle) à une personne.
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Message  neo-codion Dim 17 Mai 2015 - 15:59

Je crois que Dalize est très loin de ça. Il écrit un texte sur l'horreur des tranchées. A la manière de Villon. Il ne reviendra pas de la Grande Guerre. C'est son ami Apollinaire, autre poète foudroyé par la guerre qui retrouva ce poème.
C'est vrai que je ne comprends pas trop le titre du forum. Pour moi, la littérature décadente c'est Villiers de l'Isle-Adam, Huysmans...
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Message  Capitaine Cham Mer 17 Juin 2015 - 13:39

C'est beau mais c'est un peu long sur la fin.
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